
Par Docteur Babah Lusungu, responsable de la clinique Dieu est grand fonctionnant en ville de Beni.
Le Docteur Babah Lusungu, poursuit sa série de réflexions sur les enjeux géopolitiques auxquels la RDC est confrontée, ainsi que leurs implications sur l’unité nationale, la cohésion sociale et l’intégrité territoriale.
Dans cet article, le Docteur Babah Lusungu se penche sur la guerre qui oppose le gouvernement congolais à la coalition M23-AFC. Il tentera d’analyser en détail les forces en présence, en exposant leurs atouts et leurs faiblesses, afin de proposer différentes projections sur l’issue de ce conflit.
Le M23-AFC est une coalition de deux mouvements politico-militaires : le M23 (Mouvement du 23 Mars), issu du CNDP de Laurent Nkunda, un ancien général des FARDC d’origine rwandophone, et l’AFC, une formation plus récente. Le M23, né d’un contexte ethnique et géopolitique complexe, revendique une meilleure inclusion des Congolais rwandophones (notamment les Banyamulenge), un accès élargi à la terre, le retour des déplacés du Rwanda et de l’Ouganda, ainsi que leur intégration dans l’armée et l’administration.
En 2012, le M23 s’est emparé de Goma et a menacé Bukavu. Sous pression internationale, il s’est replié et s’est cantonné en Ouganda. Depuis 2021, le mouvement, aujourd’hui classé comme groupe terroriste par le gouvernement a refait surface, prenant Bunagana, cité frontalière avec l’Ouganda. Ils exigent des négociations directes avec le gouvernement, qui refuse catégoriquement.
Forces et faiblesses du M23-AFC
Malgré une progression rapide sur le terrain, le mouvement fait face à trois problèmes majeurs :
- Rejet par la population locale : Le Nord-Kivu est majoritairement habité par les Nande, les Hunde, les Hutu et une minorité Tutsi. La population, notamment hutu, reste méfiante à l’égard du M23, perçu comme une extension de l’armée rwandaise.
- Effectifs insuffisants : Le nombre limité de combattants ne permet pas une gestion efficace des territoires conquis, ce qui conduit à des enrôlements forcés et alimente l’impopularité du mouvement.
- Hostilité nationale et internationale : Le gouvernement a su mobiliser l’opinion publique contre le régime de Kigali, désignant le Rwanda comme l’agresseur principal. Pour répondre à cette impopularité, le M23 a tenté de se « congoliser » à travers l’AFC, dirigé par d’anciens responsables congolais.
Atouts du M23-AFC :
- Soutien du Rwanda et de l’Ouganda
- Appui tacite de l’EAC
- Armement sophistiqué (selon l’ONU)
- Discipline des troupes
- Revenus issus des zones minières contrôlées
- Présence d’autres groupes hostiles aux FARDC
- Possibilité de se réorganiser pendant les trêves
Faiblesses du M23-AFC :
- Absence de soutien populaire
- Faible effectif, dépendance logistique au Rwanda
- Difficulté à pénétrer profondément sur le territoire national
- Dissensions internes entre rwandophones et autres groupes
Forces et faiblesses du gouvernement
Atouts :
- Légitimité nationale et internationale
- Rejet massif du M23 par la population congolaise
- Taille du territoire, difficile à conquérir et à contrôler
- Alliances régionales (Angola, Zambie, Burundi)
- Groupes d’autodéfense (Wazalendo)
- Ressources financières importantes (matières premières)
- Supériorité numérique des FARDC
Faiblesses :
- Absence de stratégie militaire claire
- Démotivation de l’armée (problèmes de logistique, traitement des soldats, brassages ethniques)
- Mauvaise gouvernance et inégalités sociales criantes
- Embargo sur l’achat d’armes
- Wazalendo non formés pour une guerre conventionnelle
- Favoritisme politique au détriment de la compétence
- Collaboration avec l’Ouganda qui affaiblit la posture gouvernementale
- Situation militaire actuelle
Sur le terrain, le M23 continue de gagner du terrain. Les FARDC, principalement sur la défensive, se replient pour éviter un bain de sang. La reprise de villes comme Goma ou Bukavu par les armes semble peu probable en raison de leur proximité avec le Rwanda. Le ravitaillement militaire reste un défi majeur.
Scénarios possibles :
- Il est peu probable que le M23-AFC parvienne à faire tomber Kinshasa sans un soutien militaire massif de l’Ouganda.
- Une percée vers Kisangani est envisageable, mais au prix de lourdes pertes.
- La RDC pourrait être fragmentée entre plusieurs zones d’influence (Rwanda, Ouganda), comme en 2001.
- Le gouvernement pourrait maintenir le statu quo en rendant les zones occupées ingouvernables.
- Le régime de Kinshasa resterait en place jusqu’en 2028, faute d’élections possibles dans un contexte d’insécurité.
- Le Congo amorce un tournant stratégique majeur. L’avenir de son intégrité territoriale et de son unité dépendra des choix politiques, militaires et diplomatiques dans les mois à venir.
Restera-t-il intact ?
Qui vivra verra !